cambyse naddaf

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Présentation

 

portrait de l’artiste en décorateur d’intérieur

De mes précédentes tentatives de présentation, les plus séduisantes sont les plus polluées et les moins à même à rendre compte du travail. Elles se gargarisent de métaphores trop bavardes qui bavent bien au-delà des œuvres. Elles draguent sur leur passage un surplus imaginaire vaseux dont les œuvres n’ont rien à faire. C’est leur faire insulte que d’en parler de la sorte, elles qui ont tenté de s’arracher de ces marécages, elles qui ont refusé d’emprunter ces chemins trop faciles et trop encombrés, pour s’en tenir le plus strictement aux nœuds.

Et pourtant j’écrivais, un jour où j’avais du effleurer trop de fesses :

« Toujours lorsqu'il s'agit d'image, il s'agit de construire une unité, une cohérence.

Et puisqu'il faudrait ici donner à croire qu'il y a bien dans mes travaux quelques vérités perdues, ce qui me semble en attester le mieux est qu'obstinément certaines choses s'y répètent avec une grande précision.

L'une de ces choses -- celle qui est le point de coïncidence des différents dessins -- est que ces dessins tentent tout à la fois de tenir en un bloc et d'éclater en morceaux. Comme la robe d'une femme sert à l'empêcher de voler en éclat et la diversité de sa garde-robe à la disperser d'autant.

Faire tenir les contradictions. Mettre en pièce jusqu'au papier. Forcer à se trouver dans un même plan des choses hétérogènes. Tantôt des gestes qui rassemblent, tantôt qui détruisent cette unité ; sans douter qu'elle ne sera jamais qu'une unité de surface et provisoire. Mais terminant forcément toujours par donner cette unité, sans quoi il n'y aurait rien à montrer. »

Mais il n’y a pas de femme et il n’y a pas de robe ni de garde-robe.

Ou je parlais, un jour où j’avais du trop boire, de la soif et de l’aridité du papier buvard. De son vide, de son manque tellement présent qu’il ne demande ne serait-ce que la tache.

Ou encore, un jour où je devais me vouloir précieux parce que ruiné, je glosais sur les vases grecs reconstitués avec leurs manques comblés et leur fonction perdue. Et de me demander ce qu’il advient du vide quand le vase se brise .

Oui, oui, tout cela est très joli. Mais non.

 

portrait de l’artiste en homme cultivé

Je pourrais vous pondre quelques lignes sur Manzoni. Un charmant monsieur qui a eu la sagesse de mourir jeune, sans doute pour n’avoir plus à s’expliquer sur son travail. Je ferais de nombreux rapprochements avec mon affaire en expliquant en quoi ces problématiques sont de véritables questions de peinture. Et pour se faire, j’emprunterais mes mots à Lacan, du piège à regard à l’endroit où le peintre va chercher ses couleurs. Quelques mots sur le caractère hermétique et de l’informe jusque dans les fibres du papier. Et cela m’amènerais à Bataille, et la remarquable lecture que fait Klossowski de ‘L’Abbé C.’ dans ‘Un si funeste désir’ (Je vous en donnerais le nom de l’article, les références complètes avec même le numéro des pages dans l’édition originale – car c’est dans l’édition originale que je lis Klossowski). Ce faisant, je vous rendrais perceptible à quel point la transsubstantiation et l’intégrité de l’être sont des questionnements cruciaux dans mes œuvres.

 

[…]

 

J’en profiterais aussi pour répondre à la question que vous ne vous posez pas : Non, mes œuvres n’ont absolument rien à voir avec Mondrian. Ni, d’ailleurs, avec Rothko ou Cobra ou Giacometti ou Opalka ou. L’envie de vous énoncer la liste exhaustive des choses qui n’ont rien à voir avec mon travail reste entière. Pourtant je ne m’y consacrerais pleinement que lors des cent présentations suivantes.

Et puis, en plusieurs occasions, j’irais consulter mon Littré, comme Didi, pour avoir l’air d’aller au fond des problèmes. Je ferais tellement bien cela que vous auriez même des petites boîtes ergonomiques et numérotées, du prêt-à-ranger pour historien de l’art overbooké. Oui, je pourrais vous mettre dans les mains de quoi me trouver une bonne petite place dans l’histoire de l’art et ce sans vous laisser le répit pour douter qu’un travail avec d’aussi bonnes références puisse ne pas être intéressant. Et vous auriez été dispensés de regarder mes croutes, ou plutôt vous les auriez pu regarder en disant : Oui Manzoni… et Bataille évidement… Enfin tout ce qu’il faut pour que vous puissiez regarder, reconnaitre mais surtout ne pas voir.

 Non, vraiment beaucoup trop de labeur pour simplement tenter de réserver une place dans un caveau déjà bondé.

 

portrait de l’artiste en virtuose

Je pourrais écrire cette présentation en empruntant les voies de la mystagogie ou à l’inverse en technicien.

Pour faire toi-même ton ‘faux collage’, il te faut une feuille de papier buvard, du tape, de la peinture de différentes couleurs, des pinceaux, et des beaucoup d’épingles pour l’accrocher.

1.      Commence par déchirer la feuille de papier en morceaux.

2.      Dispose ensuite les morceaux de manière désordonnées. Mais, attention, assure-toi qu’ils sont sur le recto.

3.      Colle des bandes de tape en travers de cet amas de papier de maniére à faire tenir les morceaux ensemble et à constituer des réserves.

4.      Maintenant, tu n’as plus qu’à peindre le tout dans la couleur de ton choix.

5.      Répète les opérations 2, 3 et 4 plusieurs fois en changeant de couleur.

6.      Voilà, il ne te reste plus qu’à épingler les morceaux au mur, bord à bord, en reconstituant la feuille de papier et tu auras un ‘faux collage’ dans tes couleurs préférées.

Ou :

« Indications

       Lapidairement: Dans ces œuvres le papier occupe une place centrale. Et pour cause, l’œuvre est littéralement le support, tout au moins du regard, toujours au moins du désir.

Elles sont produites dans un va-et-vient, parfois en un seul geste paradoxal, entre destruction de son intégrité et constitution de son unité.

       Le ‘dessin’ des reproductions a. et b., bien qu’ancien, reste un point de pivot de du travail. Il s’agit du premier ‘dessin’ où le support est dissout, laissant dans l’acrylique l’empreinte de ses morceaux et quelques fibres résiduelles restées piégées, renversant le supporté en supportant.

Les ‘dessins’ des reproductions i. j. m. n. et k. sont des ‘faux collages’. Ils sont constitués de plusieurs morceaux qui sont réassemblés à chaque accrochage. »

Ou encore:

« Je procède de la sorte:

-      Couchage d'une épaisseur de peinture sur une feuille de papier buvard à l'aide d'une palette en laissant les béances apparaître et trouer cette couche (il s’agit moins cependant de trous que de lacunes, pour préserver – de l’image – l’insu intact; pour qu’en ce lieu s’il y a quelque chose à y foutre ce soit l’angoisse).

-      Séchage.

-      Dissolution du papier à l'eau et en grattant jusqu'à ne plus avoir que la couche de peinture à l'exception des fibres de papier restées prisonnières de la peinture. »

 

Eh oui, mesdames et messieurs, sous vos yeux ébahis, je viens de retirer le papier. Que la petite dame du premier rang vienne passer sa main. Voyez la peinture tient toute seule. Comment ai-je fais cela ? D’un coup d’un seul, comme on enlève la nappe sans que ne vacillent les chandelles. Vous ne voudriez tout de même pas que je vous raconte que je gratte avec mes petits doigts jusqu’à m’user les ongles.

Vous avez pourtant bien vu, le chapeau était vide. D’ailleurs il n’y avait pas de chapeau. Eh pouf, une œuvre d’art. Je compte jusqu’à trois eh hop plus de papier… Plus qu’à trouver comment, avec tout ça, faire apparaître du papier monnaie : Coming soon ! Cambyse Naddaf avec ses nouveaux tours de passe-passe inédits dans le monde l’art. Il fera tenir ensemble des morceaux de papier espacés de plusieurs dizaines de centimètres et vous donnera à voir la poussière de lettres et des formes. Ne manquez pas sa prochaine exposition.

Vous aviez une plus haute idée de la mystagogie. Cela aurait pourtant été l’occasion de toucher à ces histoires de transsubstantiation et de la libido et de la production ex-nihilo…

Oui cela aurait été l’occasion.

 

portrait de l’artiste en pédant

|de l’insuffisance de l’arbitraire du signe|

|du support comme lieu à l’œuvre comme support|

|du rapport du lieu à la demande|

|du caractère hostile du lieu et de la nocivité de l’œuvre|

|du renversement lieu-œuvre et de ses deux excès|

|du clou, du ‘faire tenir’ et du ‘laisser-tomber’ |

|de quelques ratages dans le questionnement du lieu dans les pratiques contemporaines|

|de l’univocité de l’œuvre|

                Voila donc les points de repère d’un développement qui m’intéresse beaucoup et que je ne tiendrai pas ici.

 

portrait de l’artiste en persan

فرصتی میشه که در باره اهمیت میخ حرف بزنیم

یا اینکه  از چیزهای  دیگه ، نه

میتونم یا نه  

 

portrait de l’artiste en pestant

S’il va de soi qu’une œuvre, pour se donner à voir, s’expose aux verbiages, aux réductions, aux reproductions, à l’engloutissement dans la culture, à la comparaison, aux nappages de fric, d’adjectifs, de vernis, aux utilisations théoriques, idéologiques, décoratives, éducatives, thérapeutiques, à l’usure, à la diffusion, à la dégradation, aux dénégations, à l’attention, à la déception, aux rassemblements, aux appropriations…

Soit, et sans doute tant mieux. Mais pour quel malheur faut-il qu’il m’incombe, à moi, l’ulcéré d’entamer la digestion-digression pour assurer qu’on en obtiendra bien une quantité réjouissante de fèces. Mais pour quel malheur m’incombe-t-il d’être le premier à ouvrir les hostilités et à devoir affirmer des conneries diverses et variées avec conviction s’il-vous-plait.

Tant pis, tant mieux, laissons tomber…

 

 

 

Liste de mots non-utilisés :

avorté

entièreté

obstruction

extersection

le silence

débord

hostie

 

 

Texte abandonné pour la dernière fois ce dimanche 21 juin 2009.

Cambyse Naddaf

 

 

{

. ‘anecdote tranche doigt papier l’un l’autre’

. portrait de l’artiste en crocheteur de serrure

}